30 septembre 1858
Baie de Stefansson, Antarctique.

Roxanna Mender savait qu’elle mourrait si elle cessait de marcher. Elle était proche de l’épuisement et n’avançait qu’à force de volonté. La température était largement en dessous de zéro, mais c’était la morsure du vent de tempête qui pénétrait sa peau. Une fatigue mortelle s’emparait d’elle et diminuait peu à peu sa volonté de survivre. Elle avançait, un pas après l’autre, trébuchant quand une faille dans la glace lui faisait presque perdre l’équilibre. Sa respiration ressemblait au halètement rapide et rugueux d’un alpiniste qui tente d’escalader un des monts de l’Himalaya sans équipement d’oxygène.

Elle ne voyait presque rien car les particules glacées soulevées par le vent tourbillonnaient devant son visage protégé par une épaisse écharpe de laine glissée dans sa parka doublée de fourrure. Bien qu’elle ne jetât qu’un rapide coup d’œil toutes les minutes entre les épaisseurs du foulard, ses yeux étaient rougis et douloureux. Roxanna se sentit frustrée, en levant les yeux, de voir le ciel d’un bleu étincelant au-dessus de l’orage. Il n’est pas rare, en Antarctique, de voir des orages de glace sous un ciel clair.

Curieusement, il neige rarement dans la région du pôle Sud. Il y fait tellement froid que l’atmosphère ne peut pas contenir de vapeur d’eau. Il ne tombe guère plus d’un mètre cinquante de neige par an sur le continent. Et une partie de la neige déjà au sol y est probablement depuis plusieurs milliers d’années. Le violent soleil frappe la glace blanche en oblique et sa chaleur retourne dans l’espace, ce qui contribue largement à l’extrême froideur de la température.

Roxanna avait de la chance. Le froid ne pénétrait pas ses vêtements. Au lieu de porter un costume européen d’hiver, elle avait revêtu une tenue que son mari tenait d’un échange avec des Esquimaux, au cours de ses chasses à la baleine en Arctique. En guise de sous-vêtements, elle portait une tunique, un pantalon qui s’arrêtait aux genoux et une paire de bottes semblables à des chaussettes, doublées d’une fourrure douce aux pieds. Une parka séparée la protégeait du froid extrême. La parka, en fourrure de loup, était assez large pour permettre à la chaleur de son corps de circuler et de s’évacuer sans créer de problème de transpiration. Le pantalon était en caribou. Les bottes, portées sur les chaussettes, la fourrure à l’intérieur, montaient haut sur ses jambes.

Le plus grand danger qu’elle risquât était de se casser une cheville ou une jambe sur la surface inégale. Et si elle survivait à cela, restait le danger des engelures. Quoique son corps fût bien protégé, elle craignait pour son visage. À la moindre sensation de picotement aux joues ou au nez, elle les frottait vigoureusement pour faire circuler le sang. Six des marins de son mari avaient eu des engelures. Deux avaient perdu des orteils, un autre ses oreilles.

Heureusement, la tempête perdit de sa violence et se calma bientôt. Il lui fut plus facile de marcher qu’au cours de l’heure écoulée pendant laquelle elle avait erré au hasard. La plainte du vent s’apaisa et elle put entendre à nouveau le craquement de la glace sous ses pieds.

Elle atteignit une butte d’environ cinq mètres de haut que la mer avait formée en amenant par vagues successives des morceaux de banquise qui s’accumulaient là. Ces mamelons s’appellent des hummocks et ont généralement une surface inégale. Celui-ci, sans cesse poli par les éléments, avait cependant les flancs lisses. À genoux, s’aidant de ses mains, glissant plus souvent qu’elle n’avançait, elle se hissa difficilement jusqu’au sommet.

L’exercice consuma le peu de forces que Roxanna possédait encore. Sans savoir comment, sans même se rappeler sa lutte contre la glace, elle se retrouva en haut du hummock, à demi morte d’épuisement, le coeur battant, la respiration haletante. Elle resta étendue un moment, sans savoir exactement combien de temps, heureuse de reposer ses yeux des aiguilles du vent glacial. Après quelques minutes, quand les battements de son coeur eurent ralenti et que son souffle eut recouvré un rythme régulier, Roxanna se reprocha la situation fâcheuse dans laquelle elle s’était stupidement mise. Elle ignorait combien de temps s’était écoulé. Sans montre, elle ne pouvait savoir depuis combien d’heures elle avait quitté le baleinier de son mari, le Paloverde.

Près de six mois auparavant, le navire avait été pris dans les glaces et immobilisé dans une banquise. Pour lutter contre l’ennui, elle avait pris l’habitude de faire une promenade quotidienne, toujours à portée de vue du bateau et de son équipage qui, à son tour, gardait un œil sur elle. Ce matin-là, le ciel était clair comme du cristal quand elle avait quitté le navire, mais il s’était rapidement assombri pour disparaître totalement quand un orage de glace avait balayé la banquise. En quelques minutes, le navire avait disparu et Roxanna s’était perdue, errant sur le sol gelé.

Traditionnellement, la plupart des baleiniers n’embarquaient pas de femmes. Mais beaucoup d’épouses refusaient de rester seules à la maison pendant les trois ou quatre années que durait l’absence de leurs maris. Roxanna Mender n’étaient pas de celles qui acceptent de passer des milliers d’heures dans la solitude. Certes, elle n’était pas particulièrement robuste. Menue, mesurant à peine un mètre cinquante, elle pesait un peu moins de cinquante kilos. Avec ses yeux brun clair et son sourire facile, elle était jolie et se plaignait rarement de la vie rude et de l’ennui. Elle ne souffrait presque jamais du mal de mer. Dans sa cabine minuscule, elle avait déjà donné naissance à un petit garçon, baptisé Samuel. Et, quoique n’ayant pas encore averti son mari, elle était à nouveau enceinte de deux mois. Bien acceptée à bord par l’équipage, elle avait enseigné la lecture à certains, écrit des lettres à leurs femmes et à leurs familles et servi d’infirmière quand il y avait un blessé ou un malade parmi les marins.

Le Paloverde faisait partie d’une flotte de baleiniers de San Francisco, installée sur la côte ouest du pays. C’était un bateau massif, construit surtout pour les expéditions polaires de la chasse à la baleine. Long de quarante mètres, large de quatre, avec un tirant de cinq mètres, il jaugeait trois cent cinquante tonneaux. Ses dimensions lui permettaient d’embarquer une grande quantité d’huile de baleine ainsi qu’un équipage de marins et d’officiers suffisamment nombreux pour des voyages pouvant durer près de trois ans. Sa quille de pin, ses allonges et ses barrots venaient des plus beaux arbres des montagnes de la sierra Nevada. Une fois mis en place, les madriers de quatre-vingt-dix centimètres d’épaisseur avaient été posés à plat et attachés par des clavettes, sortes de clous en bois et généralement en chêne.

Il avait été gréé comme un trois-mâts. Ses lignes étaient pures, élancées, ses cabines meublées sobrement, mais avec des panneaux d’épicéas de Washington. La cabine du commandant était particulièrement bien aménagée, sa femme ayant insisté pour l’accompagner pendant ses longs voyages. La figure de proue représentait un hickory originaire du Sud-Ouest, finement sculpté. Le nom du navire était peint sur sa poupe en lettres dorées. Au-dessus du nom, on avait gravé un grand condor de Californie aux ailes déployées.

Au lieu de naviguer au nord à travers le détroit de Bering vers l’Arctique et les eaux plus adaptées à la pêche des baleines, le mari de Roxanna, le commandant Bradford Mender, avait mené le Palo-verde au sud, vers l’Antarctique. Il pensait que la région, négligée et rarement visitée par les courageux baleiniers de Nouvelle-Angleterre, offrirait de belles occasions de trouver des eaux vierges où chasser les baleines.

Peu après leur arrivée dans l’Antarctique, l’équipage avait pris six baleines tandis que le navire arrivait en haute mer, non loin du rivage, en se faufilant à travers une nuée d’icebergs. Puis, pendant la dernière semaine de mars, en plein automne antarctique, la glace s’était emparée de la mer à une incroyable vitesse, jusqu’à atteindre un mètre vingt d’épaisseur. Le Paloverde aurait encore pu s’échapper vers la haute mer, mais soudain le vent tourna et se transforma en véritable tempête qui rejeta le navire vers le rivage. Sans chemin de fuite, alors que la glace se dirigeait vers eux en blocs plus gros que le navire lui-même, les marins n’avaient pu que regarder, impuissants, le piège glacé qui se refermait sur eux.

La glace s’était rapidement élevée autour du baleinier, si fort qu’elle l’avait repoussé vers la terre avec la vigueur d’un poing géant. L’eau qui longeait la côte fut bientôt recouverte d’une plaque de glace. Mender et son équipage luttèrent désespérément et réussirent enfin à ancrer le navire par six brasses de fond, à moins de deux milles de la côte. Mais en quelques heures, le bateau fut étroitement pris dans la glace qui ne cessait de s’épaissir. Bientôt, tout ce qui restait d’eau fut remplacé par un linceul blanc. Ils étaient pris dans l’hiver antarctique et les jours passèrent, interminables. Il n’y avait aucun espoir d’y échapper, le temps plus clément ne devant venir que sept mois plus tard.

On sécha les voiles, on les roula et on les rangea. Elles ne serviraient pas avant le printemps, pour autant que la divine providence envoie un peu de chaleur et permette au navire de se libérer de la glace. Alors, anticipant un long emprisonnement, on fit l’inventaire de toute la nourriture et on se rationna pour les longs mois d’hiver. Personne ne savait si les victuailles engrangées à bord pourraient durer jusqu’à ce que la glace commence à fondre. Mais quand on lança des lignes et des hameçons par des trous creusés dans la glace, le résultat dépassa toutes les espérances et l’on put remplir la glacière de bord de tout un assortiment de poissons de l’Antarctique. Et puis il y avait, sur la banquise, les pingouins si comiques. Ils semblaient être des millions. Le seul inconvénient fut que, de quelque façon que le cuisinier accommodât leur chair, le goût en était tout à fait déplaisant.

Les marins du baleinier devaient faire face à deux menaces : le terrible froid et un possible mouvement soudain de la banquise. Ils réduisirent heureusement la première en utilisant l’huile des baleines qu’ils avaient harponnées avant d’être bloqués. La cale en contenait plus de cent barriques, suffisamment pour tenir les poêles bien chauds pendant la partie la plus rude de l’hiver.

Jusqu’à présent, la banquise n’avait pas trop bougé, mais Mender savait que, d’ici peu, elle allait se déformer et glisser. Alors la coque du Paloverde pourrait bien être écrasée et ses lourds barrots aplatis comme du papier par un gros iceberg en mouvement. Il essayait de ne pas penser à sa femme et à leur bébé luttant pour survivre sur la banquise, en attendant qu’un autre navire se présente en été. Et il savait bien qu’il y avait une chance sur mille, au mieux, pour que cela arrive.

Planait aussi la terrible menace de la maladie. Sept de ses hommes montraient des signes de scorbut. Le seul point positif était que la vermine et les rats avaient depuis longtemps succombé au froid glacial. Les longues nuits de l’Antarctique, l’isolement et le vent coupant nourrissaient la mélancolie et l’apathie. Mender combattait cet ennui en obligeant ses hommes à exécuter des travaux de routine et des tâches sans fin qui occupaient leurs esprits en gardant leurs corps actifs.

Mender était assis dans sa cabine et calculait pour la centième fois leurs chances de survie. Mais il avait beau tourner dans tous les sens les options et les possibilités, le résultat final était toujours le même. Leurs chances de repartir sans dommages quand le printemps reviendrait étaient vraiment très minces.

La tempête polaire s’était terminée aussi vite qu’elle s’était levée et le soleil revint. Regardant, les paupières à peine ouvertes, la surface étincelante de la banquise, Roxanna vit son ombre. Quelle joie de revoir son ombre malgré l’immensité infinie qui l’entourait ! Mais d’un coup, son coeur fit un bond en apercevant, à l’horizon, le Paloverde à peu près à deux kilomètres de l’endroit où elle se trouvait. La coque noire était presque cachée par la glace, mais elle voyait le drapeau américain se balançant dans la brise mourante et elle réalisa que son mari, inquiet, l’avait hissé au grand mât, comme un signal. Elle eut du mal à croire qu’elle s’était éloignée à ce point. Dans son esprit embué, elle pensait être restée à une distance raisonnable du navire, alors qu’elle décrivait des cercles.

La banquise n’était pas totalement déserte. Roxanna aperçut des sortes de puces bougeant à la surface et comprit qu’il s’agissait de son mari et de l’équipage, partis à sa recherche. Elle était sur le point de se lever et de faire de grands signes quand quelque chose de tout à fait inattendu attira son regard : les mâts d’un autre navire surgissant entre deux blocs de glace géants, sortes de hummocks gelés ensemble et collés à la rive.

Les trois mâts et le beaupré, avec tous leurs gréements, paraissaient intacts, les voiles ferlées. Maintenant que le vent était tombé, elle repoussa la partie du foulard qui lui couvrait le visage et put voir que la plus grande partie de la coque était prise dans la glace. Le père de Roxanna avait commandé des clippers faisant le commerce du thé avec la Chine et, jeune fille, elle avait vu des milliers de navires avec toutes sortes de gréements et de voiles entrer et sortir du port de Boston. Mais la seule fois où elle avait vu un navire comme celui que la glace avait enveloppé, c’était sur une peinture accrochée au mur du salon de son grand-père.

Le navire fantôme était vieux, très vieux, avec une immense poupe arrondie dont les fenêtres ainsi que les logements de l’équipage surplombaient l’eau. Il était long, étroit et profond. Au moins quarante-deux mètres de la proue à la poupe, un peu plus de dix mètres au barrot, estima Roxanna. Comme celui qu’elle avait vu sur le tableau. Celui-ci devait être un Indiaman anglais de huit cents tonneaux, de la fin du dix-huitième siècle.

Se détournant du navire, elle agita son foulard pour attirer l’attention de son mari et de l’équipage. Un des marins l’aperçut et alerta les autres. Bientôt, tous coururent vers elle à travers la glace inégale, le commandant Mender en tête. Vingt minutes plus tard, l’équipage du Paîoverde l’avait rejointe, criant sa joie de l’avoir retrouvée vivante.

Mender, généralement calme et plutôt taciturne, montra une émotion inhabituelle en prenant Roxanna dans ses bras et en l’embrassant longuement avec tendresse, des larmes gelant sur ses joues.

— Oh ! Mon Dieu ! murmura-t-il. Je te croyais morte. C’est un vrai miracle que tu aies survécu.

Maître baleinier à vingt-huit ans, Bradford Mender avait trente-six ans et c’était son dixième voyage. Originaire de Nouvelle-Angleterre, dur et plein de ressources, il mesurait un mètre quatre-vingts et pesait cent dix kilos. Il avait des yeux bleus perçants et des cheveux noirs avec une barbe qui lui cachait les joues et le menton. Sévère, mais juste, il n’y avait jamais eu, avec ses officiers et ses marins, de problème qu’il ne pût résoudre efficacement et en toute honnêteté. Excellent baleinier, très bon navigateur, Mender était aussi un homme d’affaires avisé. Il ne commandait pas seulement son navire. Il en était aussi propriétaire.

— Si tu n’avais pas insisté pour que je porte cette tenue esquimaude que tu m’as offerte, je serais morte de froid depuis des heures.

Il la lâcha et se tourna vers les six marins qui les entouraient en applaudissant la femme du commandant qui avait survécu à son épreuve.

— Ramenons vite Mme Mender au navire pour lui faire avaler une soupe bien chaude.

— Non, pas encore, dit-elle en prenant le bras de son mari. J’ai découvert un autre navire.

Chacun tourna la tête dans la direction qu’indiquait son bras tendu.

— Un anglais ! J’ai reconnu ses lignes d’après un tableau que j’ai vu dans le salon de mon grand-père, à Boston. Il a l’air très abîmé.

Mender fixa un regard ébahi sur l’apparition, blanche et fantomatique dans sa tombe de glace.

— Je crois bien que tu as raison ! Il a en effet les lignes d’un très vieux navire marchand de 1770.

— Je propose d’aller y jeter un coup d’œil, commandant, dit le second du Paloverde, Nathan Bigelow. Il contient peut-être des provisions qui nous aideraient à survivre jusqu’au printemps.

— S’il en a, elles auront au moins quatre-vingts ans, répondit Mender sans enthousiasme.

— Mais le froid les aura conservées, rappela Roxanna. Il la regarda avec tendresse.

— Tu as passé des heures difficiles, ma chère femme. Je vais te faire raccompagner à bord du Paloverde par un des hommes.

— Non, mon époux ! contra résolument Roxanna, toute fatigue envolée. J’ai bien l’intention de voir tout ce qu’il y a à voir.

Avant que le commandant ait pu protester, elle descendit la pente du monticule jusqu’au sol de glace et se dirigea vers le vaisseau abandonné.

Mender regarda ses hommes et haussa les épaules.

— Dieu me garde de discuter avec une femme curieuse !

— Un vaisseau fantôme, murmura Bigelow. Dommage qu’il soit bloqué par les glaces. Nous aurions pu le ramener chez nous et toucher les droits de sauvetage.

— Il a l’air trop ancien pour valoir quelque chose, dit Mender.

— Alors, les hommes, pourquoi restez-vous là à bavarder dans le froid ? s’impatienta Roxanna. Dépêchons-nous avant qu’une nouvelle tempête se déclenche.

Ils se hâtèrent de leur mieux pour atteindre le navire désert et virent que la glace s’était amassée contre sa coque, de sorte qu’il leur fut facile d’atteindre les lisses, de les enjamber et de gagner le plat-bord. Roxanna, son mari et les marins se retrouvèrent sur la demi-dunette, couverte d’une mince pellicule blanche.

Mender regarda autour de lui. Ce qu’il vit lui fit hocher la tête.

— C’est incroyable que la coque n’ait pas été écrasée par la glace !

— Je n’aurais jamais cru me retrouver un jour sur le pont d’un Indiaman anglais, murmura l’un des marins avec une certaine crainte dans le regard. Et encore moins sur un navire construit avant la naissance de mon grand-père !

— C’est un beau navire, dit Mender. À vue de nez, il jauge environ neuf cents tonneaux. Il doit mesurer quarante-cinq mètres sur douze de large.

Construit et gréé dans les chantiers de la Tamise, là où se fabriquaient presque tous les navires de commerce anglais de la fin du dix-huitième siècle, Indiaman était un navire hybride, un peu cargo, un peu militaire, à cause des pirates et des maraudeurs ennemis de l’Angleterre qui sévissaient à l’époque. Aussi était-il armé de vingt-huit canons de dix-huit livres. En plus d’être adapté au transport de marchandises, il possédait des cabines pour d’éventuels passagers. Sur le pont, tout était en état, mais enchâssé dans la glace, semblant attendre un équipage fantôme. Les canons reposaient silencieusement devant leurs sabords, les canots de sauvetage pendaient à leurs portemanteaux et toutes les écoutilles étaient à leurs places.

Le vieux bateau dégageait une atmosphère étrange, angoissante, comme s’il n’avait pas appartenu à la terre mais à un autre monde. Une peur irraisonnée saisit les marins qui se tenaient sur le pont, comme si quelque créature chenue et horrible attendait pour les recevoir. Les marins sont des gens superstitieux et il n’y avait que Roxanna, encore dans l’enthousiasme innocent de la jeunesse, pour ne pas éprouver un profond sentiment d’appréhension.

— Bizarre, dit Bigelow. On dirait que l’équipage a abandonné le navire avant qu’il soit pris dans les glaces.

— J’en doute, répondit sombrement Mender. Les canots sont toujours en place.

— Dieu seul sait ce que nous allons trouver en bas.

— Alors, allons voir, proposa Roxanna, tout excitée.

— Pas toi, ma chère. Je crois préférable que tu restes ici. Elle lança un regard fier à son mari et secoua la tête avec obstination.

— Je n’attendrai sûrement pas ici toute seule pendant que les fantômes se promènent partout !

— S’il y a des fantômes, dit Bigelow, ils doivent être gelés, depuis le temps !

— Nous allons nous séparer en deux groupes, ordonna Mender. Monsieur Bigelow, prenez trois hommes et allez voir le quartier de l’équipage et le chargement des cales. Nous autres irons vers l’arrière et fouillerons le carré des officiers.

— À vos ordres, commandant.

La neige et la glace avaient formé un petit monticule autour de la porte menant aux cabines arrière, aussi Mender conduisit-il Roxanna et ses hommes sur la dunette où ils mirent leurs muscles à l’œuvre pour lever le couvre-écoutille donnant sur une coursive et que la glace avait verrouillé. L’ayant dégagé, ils l’ouvrirent et descendirent avec précaution l’escalier sur lequel il donnait. Roxanna était derrière son mari, le tenant par la ceinture de son épais manteau. Son teint, habituellement pâle, était rouge d’excitation et d’impatience. Elle n’imaginait pas dans quel cauchemar glacé elle allait pénétrer.

Devant la porte de la cabine du commandant, ils trouvèrent un très gros berger allemand couché sur un petit tapis. Le chien paraissait dormir. Quand Mender le toucha du bout de sa botte, le léger mouvement lui indiqua que l’animal n’était plus qu’une statue de glace.

— Il est dur comme un rocher, constata-t-il.

— Pauvre bête, murmura tristement Roxanna.

Mender montra la porte fermée donnant sur l’arrière de la coursive.

— C’est la cabine du commandant. Je tremble à l’idée de ce que nous allons trouver là-dedans.

— Peut-être rien, dit nerveusement un marin. Il est vraisemblable que tout le monde a filé vers la côte nord en laissant le navire.

Roxanna secoua la tête.

— Je n’imagine pas qu’on puisse faire ça en abandonnant un si bel animal à bord.

Les hommes forcèrent la porte de la cabine du commandant et entrèrent. Ce qu’ils virent les fît frissonner. Une femme, vêtue à la mode de la fin du dix-huitième siècle, assise sur une chaise, les yeux noirs ouverts et pleins d’une immense tristesse, regardait la silhouette d’un très jeune enfant couché dans un berceau. Elle était morte de froid en veillant ce qui paraissait être sa petite fille. Une bible était posée sur ses genoux, ouverte au chapitre des Psaumes.

Le spectacle tragique saisit Roxanna et l’équipage du Paîoverde. Son enthousiasme pour l’exploration de l’inconnu avait soudain disparu, transformé en un sentiment d’angoisse. Elle resta là, silencieuse, avec les autres dont la respiration formait une brume dans la cabine funèbre.

Mender se dirigea vers la cabine voisine où il trouva le commandant du navire. Il supposa que la morte était son épouse. L’homme se tenait devant son bureau, affaissé sur une chaise. Ses cheveux roux étaient casqués de glace et son visage blanc comme la mort. D’une main, il tenait encore une plume. Une feuille de papier était posée sur le bureau, devant lui. Mender essuya le givre et lut :

Le 26 août 1779

Il y a cinq mois que nous sommes pris dans les glaces de cet endroit maudit, après un orage qui nous a fait dériver de notre route vers le sud. Nous n’avons plus de nourriture. Personne n’a rien mangé depuis dix jours. La plupart des marins et des passagers sont morts. Ma petite fille est morte hier, ma pauvre épouse il y a une heure. Si quelqu’un trouve nos cadavres, qu’il informe les directeurs de la Skylar Croft Trade Company à Liverpool de notre sort. Tout est fini. Je vais bientôt rejoindre ma chère femme et mon enfant chérie.

Leigh Hunt
Maître du Madras.

Le livre de bord du Madras, relié de cuir, était posé à la droite du commandant, sur le bureau. Mender le dégagea soigneusement de la plaque de glace qui collait la couverture au bois du meuble et le mit dans son gros manteau. Puis il sortit de la cabine dont il referma la porte.

— Qu’as-tu trouvé ? demanda Roxanna.

— Le corps du commandant.

— Tout cela est épouvantable !

— J’imagine que nous allons trouver pire.

Ses paroles étaient prophétiques. En deux groupes, ils allèrent de cabine en cabine. Celles des passagers, meublées de façon exquise, étaient situées dans la dunette. L’espace était luxueux, avec balcons et fenêtres le partageant en cabines de tailles diverses dans la poupe. Les passagers louaient les lieux vides et devaient meubler leurs cabines avec leurs propres lits, divans, chaises, le tout bien arrimé en prévision du gros temps. Les plus riches apportaient souvent des bureaux, des bibliothèques et des instruments de musique, dont des pianos et des harpes. Là, les marins du Paloverde trouvèrent trente cadavres dans diverses positions. Certains étaient morts assis, certains couchés sur leurs lits, d’autres étalés sur le pont. Tous paraissaient s’être endormis en paix.

Roxanna était impressionnée par ceux dont les yeux étaient ouverts. La couleur de leurs iris semblait avivée par le blanc pur de leurs visages. Elle grinça des dents quand un des hommes du Paloverde tendit la main pour caresser les cheveux d’une passagère. Gelés, ils émirent un étrange craquement et se cassèrent dans la main du marin.

La grande cabine, sur le pont inférieur, sous la gracieuse dunette, ressemblait à une morgue après un désastre. Mender y trouva de nombreux cadavres, des hommes pour la plupart, dont de nombreux officiers anglais en uniforme. Plus loin se trouvait la timonerie, également pleine de corps couchés dans des hamacs accrochés aux fournitures du navire et aux bagages dans l’entrepont.

Tous les passagers du Madras avaient passé paisiblement, il n’y avait aucun signe de chaos. Rien n’était dérangé. Mis à part le récit du commandant Hunt, on aurait pu croire que le temps s’était arrêté et que tous étaient morts aussi tranquillement qu’ils avaient vécu. Ce que virent Roxanna et Mender n’était ni grotesque ni terrifiant. Rien qu’une incroyable malchance. Ces gens avaient disparu depuis soixante-dix-neuf ans et le monde les avait oubliés. Même ceux qui les avaient cherchés et qui les avaient pleurés étaient décédés depuis longtemps.

— Je ne comprends pas, dit Roxanna. Comment sont-ils morts ?

— Ceux qui ne sont pas morts de faim sont morts de froid, répondit son mari.

— Mais ils auraient pu pêcher sous la glace ou tuer des pingouins comme nous l’avons fait, et aussi brûler certains meubles pour se tenir chaud.

— Les dernières paroles du commandant disent que le navire a été dévié vers le sud. À mon avis, ils ont été bloqués par les glaces bien plus loin que nous de la côte. Ils ont dû croire qu’ils s’en dégageraient rapidement, ont suivi les règles de la marine qui interdisent de faire du feu à bord pour éviter d’éventuels incendies, tout cela jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

— Alors, ils sont morts les uns après les autres ?

— Et puis, quand le printemps est revenu et que la glace a fondu, au lieu d’être poussés par le courant vers le Pacifique-Sud comme une épave, des vents contraires les ont conduits vers la rive, d’où ils n’ont pas bougé depuis le siècle dernier.

— Je pense que vous avez raison, commandant, dit le second Bigelow qui venait de l’avant du navire. Si l’on en juge par leurs vêtements, ces pauvres diables ne s’attendaient pas à se retrouver dans des eaux glacées. La plupart sont habillés pour un climat tropical. Ils devaient donc faire le voyage de l’Inde à l’Angleterre.

— C’est vraiment tragique, soupira Roxanna, que rien n’ait pu sauver ces malheureux.

— Dieu seul l’aurait pu, murmura Mender, Dieu seul l’aurait pu. Qu’y a-t-il dans ses cales ? demanda-t-il à Bigelow.

— Je n’ai trouvé ni or ni argent, mais du thé, des porcelaines de Chine soigneusement enveloppées dans des caisses de bois et tout un tas de rotin, d’épices et de camphre. Et puis, ah ! oui ! j’ai trouvé une petite pièce fermée par de lourdes chaînes, juste en dessous de la cabine du commandant.

— L’avez-vous fouillée ? demanda Mender.

— Non, monsieur. J’ai pensé que je ne pouvais le faire qu’en votre présence. J’ai laissé mes hommes occupés à briser les chaînes.

— Peut-être y a-t-il un trésor ! s’exclama Roxanna dont les joues reprirent une teinte rosée.

— Nous allons bientôt le savoir, dit Mender. Monsieur Bigelow, voulez-vous nous ouvrir la voie, je vous prie.

Le second les mena en bas d’une échelle et jusqu’à la cale avant. La réserve faisait face à un canon de dix-huit livres dont le sabord était bloqué par une couche de glace. Deux marins du Paloverde frappaient le gros verrou tenant les chaînes vissées sur la porte. Ils utilisaient un marteau et un burin trouvés dans l’atelier du charpentier et tapaient furieusement sur le verrou qui finit par céder. Ils tordirent alors le loquet jusqu’à ce qu’il saute et permette de pousser la porte vers l’intérieur.

Il faisait sombre dans la petite pièce que n’éclairait qu’un petit hublot. Des caisses de bois étaient empilées d’une cloison à l’autre, mais leur contenu paraissait emballé n’importe comment. Mender s’approcha d’une grande caisse dont il souleva un côté du couvercle.

— Ces caisses ont été mal remplies et n’ont pas été chargées à bord par des négociants, dit-il. On dirait qu’elles l’ont été par l’équipage pendant le voyage et mises sous clef par le commandant.

— Ne reste pas là sans rien faire, mon époux, dit Roxanna en le poussant, folle de curiosité. Ouvre-les !

Tandis que l’équipage se tenait à la porte de la réserve, Mender et Bigelow commencèrent à ouvrir les caisses de bois. Personne ne semblait conscient de la morsure du froid. Tous étaient impatients de savoir s’ils allaient découvrir un trésor d’or et de pierres précieuses. Mais quand Mender sortit une des pièces contenues dans la première caisse, leurs espoirs furent rapidement déçus.

— Une urne de cuivre, annonça-t-il en la passant à Roxanna qui la leva dans la faible lumière du hublot. Magnifiquement ciselée. Grecque ou romaine, pour autant que je puisse juger d’une antiquité.

Bigelow retira d’autres pièces du même style et les fît passer par la porte ouverte. La plupart étaient de petites sculptures de cuivre, représentant des animaux étranges aux yeux d’opale sombre.

— Elles sont magnifiques, murmura Roxanna en admirant les dessins sculptés et ciselés. Je n’ai jamais rien vu de semblable.

— C’est vrai qu’elles sont étranges, reconnut Mender.

— Ont-elles de la valeur ? demanda Bigelow.

— Peut-être pour un collectionneur ou un musée. Mais je doute que l’on puisse s’enrichir en les vendant…

Il se tut en considérant un crâne humain grandeur nature, dont les reflets noirs brillaient dans la lumière voilée.

— Seigneur ! Regardez ça !

— C’est effrayant, murmura Bigelow.

— Ça a l’air sculpté par Satan en personne, souffla un marin. Roxanna, nullement intimidée, le prit à son tour et observa les orbites vides.

— On dirait de l’ébène. Regardez le dragon qui sort d’entre ses dents.

— À mon avis, c’est de l’obsidienne, remarqua Mender, mais je n’ai pas la moindre idée de la façon dont on a pu le sculpter…

Il fut interrompu par un craquement sourd tandis que la glace autour de la poupe du navire se soulevait en grondant.

L’un des marins descendit l’échelle du pont supérieur et arriva en criant comme un damné.

— Commandant, il faut partir, vite ! Une grande fracture se forme dans la glace avec des trous d’eau. J’ai peur que, si l’on ne se dépêche pas, on se retrouve piégés ici !

Mender ne perdit pas de temps à poser des questions.

— Retournez au navire, ordonna-t-il. Vite ! Roxanna enveloppa le crâne dans son écharpe et le fourra sous son bras.

— Ce n’est pas le moment de prendre des souvenirs, aboya son mari. Mais elle ignora sa remarque et refusa d’abandonner le crâne.

Poussant Roxanna devant eux, les hommes se hâtèrent de gagner le pont principal et sautèrent sur la glace. Ils furent horrifiés de constater que ce qui avait été un champ massif de glace était en train de se déformer et de se briser pour former de grandes flaques d’eau. Les fractures se changèrent en cours d’eau sinueux et en rivières tandis que l’eau de mer surgissait à travers la glace de la banquise. Aucun d’eux n’aurait pu imaginer qu’une banquise pouvait fondre aussi vite.

Sautant sur les masses bouleversées, dont certaines mesuraient jusqu’à douze mètres de haut, et par-dessus les fissures avant qu’elles ne s’élargissent et soient impossibles à franchir, l’équipage et Roxanna coururent comme si tous les diables de l’enfer étaient à leurs trousses. Les bruits macabres, indescriptibles, des blocs de glace grinçant les uns contre les autres frappèrent leurs esprits de terreur. La course était épuisante. À chaque pas, ils s’enfonçaient de presque trente centimètres dans la couverture de neige qui s’était accumulée sur la banquise.

Le vent commença à souffler, incroyablement doux. C’était l’air le plus chaud qu’ils eussent senti depuis que le navire était prisonnier de la glace. Après avoir couru près de deux kilomètres, chacun était près de s’évanouir d’épuisement. Les encouragements de leurs collègues du Paloverde, les suppliant de se hâter, les poussèrent à continuer. Puis, d’un seul coup, il sembla que leur lutte pour regagner le navire avait été vaine. La dernière fissure de la glace, avant qu’ils puissent retrouver la sécurité de leur navire, eut presque raison d’eux. Elle mesurait maintenant six mètres de large, beaucoup trop pour qu’ils puissent la franchir en sautant et elle s’élargissait de trente centimètres toutes les trente secondes.

Voyant le danger, le second maître du Paloverde, Asa Knight, ordonna aux hommes de bord de descendre une baleinière par-dessus bord. Ils réussirent à la poser en travers de la fissure, qui mesurait maintenant plus de neuf mètres. Manœuvrant et tirant le lourd bateau, l’équipage lutta pour sauver le commandant, sa femme et leurs compagnons avant qu’il ne soit trop tard. Après un effort herculéen, ils atteignirent le bord opposé de la fissure. Déjà Mender, Roxanna et les autres avaient de l’eau – qui remontait à travers la glace -jusqu’aux genoux.

La baleinière fut rapidement poussée dans l’eau glacée et les hommes ramèrent de toutes leurs forces pour rejoindre ceux qui se savaient à quelques minutes de la mort, de l’autre côté. On fit monter Roxanna d’abord, puis le reste de l’équipage et enfin Mender.

— Nous avons une énorme dette envers vous, monsieur Knight, dit le commandant en serrant la main de son lieutenant. Votre initiative courageuse nous a sauvé la vie. Je vous remercie au nom de mon épouse.

— Et de son enfant, ajouta Roxanna tandis que les deux marins l’enveloppaient de couvertures.

— Notre enfant est en sécurité à bord, dit Mender en la regardant.

— Je ne parlais pas de Samuel, dit-elle malgré le claquement de ses dents. Mender ouvrit de grands yeux.

— Veux-tu me faire comprendre que tu attends un autre enfant, femme ?

— Depuis deux mois, je crois. Mender était consterné.

— Tu es partie te promener sur la banquise en sachant que tu étais enceinte ?

— Il n’y avait pas de tempête quand je suis sortie, dit-elle avec un petit sourire.

— Seigneur ! soupira-t-il, mais qu’est-ce que je vais faire de toi ?

— Si vous ne voulez plus d’elle, commandant, dit joyeusement Bigelow, je serais heureux de m’en charger.

Bien qu’il fût glacé jusqu’aux os, Mender éclata de rire et serra sa femme contre lui à lui couper le souffle.

— Ne me tentez pas, monsieur Bigelow, ne me tentez pas !

Une demi-heure plus tard, Roxanna, de retour à bord du Palo-verde, bien au chaud dans des vêtements secs, se tenait devant un poêle de brique et de fonte qui servait à faire fondre le blanc de baleine. Son mari et l’équipage ne prirent pas le temps de s’occuper de leur propre confort. On sortit rapidement les voiles de leurs casiers, on les transporta là où elles allaient être hissées, puis on leva les ancres et, Mender tenant la barre, le Paloverde commença à zigzaguer entre les immenses icebergs vers la haute mer.

Au bout de six mois de froid et de rationnement, le commandant et son équipage furent enfin libérés des glaces et voguèrent vers leur port d’attache, après avoir rempli leurs cales de dix-sept cents barils d’huile de baleine.

L’étrange crâne d’obsidienne, que Roxanna avait pris sur le Madras gelé, alla trôner sur le manteau de la cheminée familiale, à San Francisco. Mender se fit un devoir d’écrire aux directeurs de la Skylar Croft Trade Company, à Liverpool, qui avait changé de nom. Il leur envoya le livre de bord et la position du bateau abandonné sur la côte de la mer de Bellingshausen.

L’ancienne et sinistre relique du passé resta dans son isolement glacé. Une expédition de deux navires fut montée à Liverpool, en 1862, pour retrouver la cargaison du Madras. Mais on n’en revit aucun. On les présuma perdus dans la grande banquise autour de l’Antarctique.

Cent quarante-quatre ans allaient passer avant que des hommes redécouvrent le Madras et remettent le pied sur ses ponts.

Atlantide
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